Mytho-manies

Mytho-manies est un essai mêlant textes, illustrations et vidéo. Avec une démarche théorique qui s’appuie sur l’anthropologie (les notions de mythe, de sacré, de rituel, de religieux, de séculier), les textes analysent les liens et transferts entre les grandes théories de pensée et les moyens de productions esthétiques — en particulier dans un monde occidental sécularisé et industrialisé.

La notion de croyance est posée comme une problématique dominant l’ensemble des phénomènes auxquels l’homme se confronte. Ce prisme permet de relire les théories esthétiques modernes et post-modernes (art, architecture et design ensemble) au prix d’une lecture critique de la religion, de la rationalisation, de l’objectivité, de la consommation. Une attention toute particulière est apportée aux transferts des idées et des esthétiques dans le temps. Cette approche de l’analogie est fondatrice pour ma pratique.

Les images et la vidéo qui accompagnent les textes se présentent comme des « collages » iconographiques en trois dimensions. Dans ces modélisations conçues comme des photo-sets se côtoient les symboles et fétiches des différents moments historiques abordés. Il est question d’images de synthèse, dans tous les sens du terme.


Avant-propos

La légende moderne alloue aux créateurs des capacités d’anticipation. On les crédite d’une nature visionnaire, qui dépasse le seul exercice technique ou spirituel, et devance la Société. Quel est le mystérieux office célébré dans le crâne de ces oracles désignés, de ces créatures qui fabriquent notre monde ? Simplement, peut-être, le souvenir lointain d’une existence mythique. Ou bien la marque de la plus atroce imposture. Certainement l’impossibilité, depuis des millénaires, à accepter les choses telles qu’elles sont, associée à la difficulté de savoir ce qui nous pousse à penser et produire.

Sous quelles influences les phénomènes, les attitudes, les productions, les discours qui organisent les réalités se forment-ils ? Le prisme de la croyance les aurait toujours modélisées, diffractées, modifiées ou rejetées. Il nous faut alors tenter de représenter cette cascade de réactions, de convictions, de foi que répércute le concept de croyance sur l’ensemble des organisations.

Toute production, de la politique à l’art, s’insère dans un régime de croyances, d’actions, de critiques, de jugements et de pouvoirs. Aucune discipline ne peut prétendre à une complète autonomie. Les croyances qui jalonnent le temps, qui administrent la Vérité, qui négocient avec une transcendance qui se considère autrement à chaque époque, par le sacré, nous sont souvent dissimulées par un certain conformisme théorique — enfermé dans une étude spécialisée. L’analyse doit alors se dé-spécialiser afin d’embrasser une plus grande largeur dans les liens qu’elle tisse. Nous analyserons deux systèmes socio-économiques a priori opposés et tenterons d’y cerner le rôle de la création, de ses déclarations et de ses productions.

Il nous faut vous avertir : nous ne parlerons pas ici des mythomanes célèbres ou de l’histoire clinique de la psychiatrie du mensonge ! D’un point de vue étymologique, mytho-manie signifie l’obsession de l’affabulation. Or l’acception même de mytho- est sujette à controverse, puisque, originellement, dans les sociétés dites archaïques, le mythe a peu de choses à voir avec la fable — si ce n’est l’imitation du divin, bien réel pour ceux qui pratiquent les rituels. Nous éprouvons dès maintenant ce qui se cache derrière l’actualité de la définition du mot mythomanie : le lien discuté de la croyance au principe de réalité.

La croyance induit universellement les comportements individuels ou communautaires. Le moderne ne croit pas en Dieu et voit dans toute pratique impliquant le divin l’œuvre de ce mythomane, ce malade, ce fou, cet autre ; inversement, lorsque le mythomane, le croyant, le fou ou l’autre jugent les déclarations et les actes modernes. Ce que l’on découvre en confrontant l’étymologie de mythomanie à sa situation actuelle, c’est le mystère qui entoure tou- jours l’apparition d’une réalité, l’ambigüité qui se cache derrière le consensus autour de son adoption, la puissance historique des jugements critiques, la dévalorisation de ce qui s’écarte du culte reconnu : la généalogie problématique des croyances, depuis les sociétés primitives jusqu’à notre monde contemporain.

Vous l’aurez compris, notre entreprise est celle d’une polémique : remettre en cause le principe de réalité moderne, le mettre en compétition avec celui du mythe, afin de cerner quels liens les unissent ; dresser une généalogie des croyances qui dépasse notre vision étriquée — historique, technique, philosophique — de l’Existence ; mettre en doute les bienfaits d’une éducation et d’une hiérarchie érigée dans la bien-pensée ; vérifier, analyser les modes de persistance du religieux hors d’un monde organisé par le religieux. Nous réécrivons un récit déjà conté à de maintes reprises sous conditions modernes, afin d’honorer cette fois, ses zones d’ombres, ses mystères, ses magies, ses rituels ; de mettre en doute, parfois, la supériorité, la légitimité, l’existence même de notre réel formé par l’objectivité et les manifestations esthétiques qui l’entourent ; de brosser l’actualité du sacré et des résidus du mythe.


Images, textes, vidéo : Hugo L’ahelec. Cet essai a été réalisé entre 2014 et 2015 sous la direction de Catherine Geel (T&P WorkUnit) et imprimé en édition limitée. Il est complété d’un fascicule intitulé Fresh Décalogue, clin d’oeil à Fresh Theory et tentative d’émancipation et de définition, par écrit, d’une démarche plastique.

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